De passage à Nothalten, je profite d'une période de creux entre la mise du dernier millésime et les prochaines vendanges pour m'entretenir à bâtons rompus avec Patrick MEYER sur l'actualité vigneronne.
Ce projet me semble pernicieux et dangereux car il tend à l'uniformisation des vins. Si l'on est dans la collimateur parce que l'on ne répond pas à un formatage, on peut t'empêcher de faire de l'AOC.
La position de certains ténors de l’appellation me surprend dans la mesure où ils connaissent aussi des problèmes d'agréments parce que leurs vins sont atypiques ou plutôt hors cadre. Peut être qu'ils se sentent à l'abri en raison de leur notoriété, mais il ne faut pas oublier qu'il est dit dans ce texte que si tes vins ne sont pas dans le moule, on va t'apprendre à en faire.
Pour te donner un exemple de la perversité des modalités d’un décret, l'hiver dernier, il y a un texte de loi qui a été voté par le législateur sur les produits phytosanitaires. C'est parti d'un bon sentiment en disant que tous les produits qui ne seraient pas homologués seraient de fait interdits. Seulement, le souci dans tout ça, c'est que l'on n'a pas mesuré les conséquences de ce texte. En Août dernier, Gérard Petiot, conseiller agricole dans la Loire a vu débarquer chez lui Répression des fraudes, Douanes et Protection des végétaux qui ont saisi ses écrits et lui ont interdit d'enseigner les méthodes de culture Bio qui recommandent l'usage de tisanes de plantes qui sont des produits non homologués. On est dans le totalitarisme le plus complet et c'est ce que je crains avec cette réforme des agréments ; si tu ne te plies pas au standard imposé, on te retire l’habilitation à faire de l’AOC. Ceci n’est pas un problème dans une région avec un blanc et 3 cuvées de rouge mais en Alsace il est impossible de gérer commercialement 20 cuvées de blanc sans revendiquer le terroir, le cépage et le millésime.
Aujourd’hui le standard reconnu dans en Alsace et dans d’autres régions est celui de vins issus de sols morts par l’usage d’engrais et d’herbicides, de raisins bombardés de pesticides, de pressurages et de vinifications technologiques qui comptent jusqu’à 25 intrants. Je ne parle même pas des osmoseurs, des filtres tangentiels, de la machine à vendanger voire de la banalisation de la chaptalisation, de la désacidification…bref des vins qui sont sensés aujourd’hui représenter le terroir d’une région.
Paradoxalement, le vigneron qui laboure, soigne sa vigne avec des tisanes, travaille sans œnologie en cave, est montré du doigt. Atypique, extravagant, singulier .Il ne correspond plus au modèle de la région, au profil général. Si en plus on a le malheur d’aimer les vins sans artifices, sur l’élégance et l’essence, du mot essentiel, sans surcharge de sucres, de barrique et d’extraction, sans complaisance commerciale marqué par le variétal, on est pris pour un extra terrestre. Mais il est vrai que dans le fonctionnement alimentaire actuel, où les seules saveurs sont portées par le sucre et le sel et bien d’autres exacteurs d’arômes, il est difficile de se construire un palais individualisé et bien plus facile de se référer à l’establishment.
C'est pour ça qu’un vin à 50€ est forcément canon et qu’un vin à 5 € ne peut pas être terrible.
Certains te font le reproche de faire des vins dans un style oxydatif et même parfois oxydés, comment l'expliques tu ?
Tout cela n'est qu'un problème de lecture du vin. Je fais des vins sans ou avec peu de soufre non pas pour faire du sans soufre, mais parce que lorsque le sol, la vigne et le vin sont en équilibre, je ne vois pas l'utilité d'utiliser un antibiotique comme le soufre. Comme on ne prend pas de médicaments lorsque l'on est en bonne santé je ne vois pas l'intérêt de soigner le vin quand il n'en a pas besoin.
C'est la forme extérieure de l'expression du vin qui est perçue comme oxydée. Un premier nez fermentaire, une robe de couleur plus prononcée et par réflexe le dégustateur trouve de l'oxydation là où il n'y en a pas.
C'est un problème de culture et de lecture qui fait que certains rejettent un produit qui ne correspond pas au standard agroalimentaire en privilégiant les arômes variétaux et qui n'est pas esthétisé au profil général.
Ne tiendrais tu pas cette réputation des quelques vins comme ton vin de Voile et ton Sylvaner Barrique faits en 1998 et qui eux ont été élaborés dans un pur style oxydatif ?
Non, ces vins sont restés confidentiels, je ne les ai jamais mis à la carte et ne les propose qu'à des amis et à quelques cavistes "fous" qui ont l'ouverture d'esprit pour goûter ça. Cependant, je souligne le fait qu'ils ont une tenue exceptionnelle et illustrent parfaitement ce qu'ont pu être les vins du début du 20ème siècle avant de subir les chimères du productivisme et de l'œnologie.
Même si j'admet que mon style ai pu être perçu comme oxydatif dans les années 90, le travail fait dans les vignes a contribué a créer des résistances à l'oxydation plus importante. Je n'ai pas changé ma méthode de vinification, toujours minimaliste, et suis certain de pouvoir présenter des vins sur 10 millésimes sans que l'on puisse leur reprocher de l'oxydation.
Tu viens de terminer il y a quelques jours la mise en bouteille des 2005, je crois qu'il y a une nouveauté ?
En effet, j'ai bouché 10000 bouteilles, entre autres le Sylvaner Zellberg et le Riesling Muenchberg avec des bouchons en verre car ces cépages sont plus sensibles aux déviations liégeuses.
La dégénérescence des chênes liège fait qu'il n'y a actuellement pas d'autre solution que d'opter vers des systèmes de bouchage alternatifs. L'étanchéité est réalisée par un joint silicone dont on peut choisir la porosité, de plus l'esthétique de la bouteille est parfaite.
Les vins peu ou pas soufrés sont plus sensibles aux déviations liégeuses car moins contractés que les vins habituels. C'est un choix qui s'imposait.
Le prix de l'ensemble bouteille, bouchon et surbouchage est de 80 cts d'Euros, c'est très supérieur au système "classique", mais je ne désespère pas de fédérer d'autre vignerons dans ce choix et ainsi de ramener le tarif à 60 cts.
Le liège est un élément culturel du vin, symbole de la tradition, tu ne crains pas des réactions ?
C'est vrai que si l'on passe à un système de bouchage technique, on peut craindre que l'opinion pense que le vin est aussi technique. C'est logique et paradoxal car pour l'instant ceux qui ont optés pour des systèmes de bouchage alternatifs sont des vignerons qui sont les moins techniques dans la vinification. Je pense à Jean-Pierre Frick. Je ne considère pas cela comme un progrès , mais c’est un moindre mal.
Quelles sont tes satisfactions sur le millésime 2005 ?
Je suis très content de mes "petits vins", Riesling, Pinot Gris et de mon Sylvaner Zellberg, certainement le meilleur que j'ai fait. Le Pinot Noir est également un vrai bonheur. Les vins de terroirs sont en constructions et le minérale laisse présager un bel avenir.
Comment s'annoncent les vendanges 2006 ?
Je ne suis pas mécontent du fonctionnement d'une grande majorité de mes parcelles même s'il y en a 3 ou 4 que je ne comprends pas encore parfaitement. Contrairement à mes voisins, j'ai été épargné par le mildiou en traitant avec 600 gde cuivre métal sur l'année. Dans l'ensemble tout s'annonce bien, mais il faudra attendre que tout soit rentré.
Tu parlais tout à l'heure de standardisation des vins, tu peux en dire plus ?
Mon principal reproche est que je constate que la mode privilégie le travail sur la matière au détriment de celui sur l'esprit des vins.
J'ai beaucoup de mal par exemple avec les Pinot Noir bourguignons car j'ai l'impression qu'ils sont issus de raisins accouchés aux forceps. Ce cépage est le plus élégant et le plus fin du monde et je constate que beaucoup ont la prétention de vouloir forcer la nature à produire de la confiture.
Quand on déguste certains vignerons stars, on a le sentiment de boire toujours la même chose avec un niveau de concentration qui augmente alors que l'on monte en gamme et en tarif. On trouve simplement une marque de fabrique qui prend le pas sur le terroir.
Quels sont les vignerons que tu apprécie dans cette région ?
Je ne possède pas une connaissance assez précise de cette région pour avoir un avis définitif, mais j'ai toujours beaucoup apprécié le travail de Thierry GUYOT qui malheureusement a cessé son activité.
Sur un simple Beaune, tu trouves une qualité éthérique dans l'essence du vin qui est une vrai merveille. On n'est pas dans une palette aromatique démonstrative, lourde ou pompeuse, mais dans l'élégance la plus fine.
Le travail à l'ancienne de CHOPIN-GROFFIER dans des barriques de 30 ans me ravit car il y a un véritable fonctionnement dans ses vins.
Quand on ne se concentre que sur la matière, on est forcément hors esprit. Mais pour être reconnu par les prescripteurs il faut être démonstratif, présenter des vins qui répondent à une uniformisation des arômes et un boisé qui fait qu'ils n'ont plus rien à voir avec la vigne et le terroir mais répondent un process de fabrication.
C'est le marché qui impose le style aux vignerons ?
Oui, comme c'est le marché qui impose les règles aux AOC. Si le marché supportait 120 hectolitres par hectares en Alsace, on serait à 120 hectos. Si aujourd'hui on fait du 80 hectos c'est pas pour faire une meilleure qualité mais parce que le marché ne le supporte pas.
Tu définis le vin par la matière et l'esprit, si je comprends bien la matière, tu peux expliquer l'esprit ?
On est sur quelque chose de vibratoire, on ne peut pas imaginer que les choses qui nous entourent soient sans âme, ni les plantes ni les animaux, ni le fonctionnement de la planète. Sans ésotérisme, l'esprit c'est le côté vibratoire qui te remplit, te réjouit et t'élève.
Que ce soit pour un livre, une toile ou une sculpture, il faut faire la part entre la matière qui est reproductible et l'esprit qui habite l'œuvre et qui élève la pensée. La forme est reproductible pas l'esprit.
Pour trouver l'esprit d'un vin il faut avoir une certaine sensibilité, laisser de côté ses préjugés, se libérer de ses connaissances intellectuelles et de ne se servir que de sa sensibilité, sans chercher à comparer, juger et dominer. Simplement se laisser envahir voire pénétrer.
C'est là que les choses sont liées et unies, c'est là où l'on trouve la cohérence entre l'esprit et la matière. C'est pour ça que les grands vins se déjouent complètement l'alcool. Il y à des vins qui font 15 ° et qui se boivent comme du petit lait car on est déconnecté de la matière.
En Alsace, qui sont les vignerons qui te semblent le mieux travailler l'esprit et la matière ?
Pour n'en citer que 3, il y a bien sûr Bruno SCHUELLER dont j'apprécie beaucoup le travail, mais aussi JOSMEYER qui depuis plus de 20 ans élève des vins élégants tout en restant à une niveau de prix acceptable compte tenu de sa notoriété. Il y a aussi le Domaine MITTNACHT Frères à Hunawihr où Christophe montre beaucoup de sensibilité et de sens artistique. Il développe naturellement un caractère que tu retrouves dans ses vins.
Ce qui est dommage, c'est cette pression commerciale qui fait que les gens ne vont pas au bout des choses et restent collés à ce formatage du fruit primaire. Alors qu'il y a des Domaines qui font un travail remarquable dans le vigne et qui pourraient pousser le bouchon un peu plus loin. Je ne dis pas sur toute la récolte mais au moins essayer 2 ou 3 trucs de temps en temps pour voir où ça va, c'est comme ça que tu avances.
Ex : Si tu fais systématiquement, même en travaillant proprement, des débourbages trop importants, tu perds beaucoup de choses.
Tu ne fais pas de débourbages
On ne peut pas parler de débourbage, je fais des transferts après pressurage, je retire 10 litres de bourbes grossières sur une cuve de 4000 litres.
La qualité du pressurage est primordiale, car on transforme la matière solide en liquide et ça demande une vraie connaissance. Il faut parfaitement comprendre la matière si l'on veut obtenir de bons résultats. Cette transformation est fondamentale, c'est pourquoi beaucoup de gens en sont arrivés aux pressoirs pneumatiques qui évitent le risque de sortir des amertumes. Ils extraient une matière immédiatement séduisante.
Il y a 40 ans on ne faisait pas de débourbages, le jus de raisin allait directement dans les foudres. On ne sulfitait pas non plus les vins, on méchait le tonneau et c'est tout, mais le matériel végétal était différent.
Maintenant ceux qui sulfitent à 3 g au pressoir sont déjà des aventuriers parce que beaucoup en mettent jusqu'à 6 g et ce n'est pas particulier à l'Alsace. Pour les fermentations, la plupart se font sous contrôle de température pour obtenir une palette aromatique primaire et ensuite on ne laisse pas trop traîner sur lies pour préserver les arômes. La malo est proscrite alors que c’est une partie essentielle au processus de construction et de stabilité d’un vin. Le vin est déjà amputé d’une partie de son âme.
Ce qui se passe, c'est que les mauvaises pratiques culturales ne nourrissent pas le raisin d'une façon entière, olistiquement parlant et que les pratiques de vinification retirent encore davantage de cette nourriture qui fait partie de la maturité normale d'un vin. Alors comme il faut trouver des ersatz à tout ça, on compense par la concentration et le sucre. Mais ça reste un cache misère, de l'esbroufe et du maquillage. Et quand le maquillage tombe …
Tu interviens également en Toscane depuis peu?
Effectivement, j'ai eu la chance d'être appelé pour faire du vin sur un terrain presque vierge avec beaucoup de liberté. Le propriétaire qui a acheté ce Domaine l'avait dans un premier temps confié à des supers consultants, flying winemakers qui ont arraché 6 des 8,5 hectares de vignes avant de projeter de défoncer les terrains au bulldozer et d'apporter du compost. A ce moment là j'ai été contacté par le propriétaire qui connaissait mon approche des vins et de la vigne et qui m'a confié le suivi des cultures pour accompagner les équipes en place pour un travail en biodynamie.
En ce moment nous préparons les sols pour replanter l'année prochaine du Sangiovese. Comme on a les moyens on va faire les choses comme dans le temps en plantant un porte greffe récupéré d'un pépiniériste bio. On laissera faire 2 feuilles et on greffera l'oeil du cépage sur le pied au mois d'août. Les yeux qui seront greffés proviendront alors d'un matériel vivant.
De plus les vinifications seront suivies par un vigneron italien qui est sur place et que je connais car il a déjà travaillé chez SCHUELLER et chez BARRAL.
Toutes les conditions humaines, économiques et sociales sont réunies, c'est un vrai plaisir.
Domaine Julien MEYER
14 route du Vin
67680 Nothalten
03 88 92 60 15