Husseren Les Châteaux, février 2006
Rendez-vous est pris à 18 heures à Husseren Les Châteaux. L’hiver est particulièrement rigoureux cette année, de la neige et une température largement négative ce soir de février.
Bruno Schueller nous accueille dans son caveau situé à deux pas de l’église du village. Le décor est spartiate. Ici on est très loin du charme bourgeois et élégant des salons de dégustation du Domaine Faller, et la cave n’a aucun point commun avec le splendide bunker de Zind-Humbrecht.
Nous nous retrouvons le verre à la main, entre la cave d’élevage et celle de stockage. Bruno insiste, la pièce est chauffée par le sol grâce à un serpentin. J’avoue avoir beaucoup de mal à trouver la bonne position pour profiter au mieux de cet apport calorifique. Mais c’est sans importance au regard de ce qui nous attend.
Nous commençons la dégustation par les Pinot Noir 2005. Issus de 3 terroirs différents, ils sont au tout début de leur élevage. Il n’est pas certain que les malos soit faites, tous se goûtent cependant remarquablement bien. La vendange est égrappée main à 30%, les macérations durent une vingtaine de jours avec des pigeages réguliers. Les extractions sont de toute beauté sans rien de forcé ni de surextrait.
Bien entendu, pas de soufre à ce stade là de l’élevage. La cuvée issue de l’Eichberg est encore réduite, avec plus de dureté en bouche que celle issue de terrains sablonneux servie précédemment. La cuvée Bildstoeklé, terroir à dominante calcaire, est élevée en demi-muids pendant un minimum de 2 ans, elle présente déjà un magnifique équilibre, des tannins serrés et précis et une minéralité impressionnante.
Si les rouges restent civilisés et facilement abordables, il va en être autrement lorsque nous passons aux blancs.
Armé de sa pipette, le Sorcier d’Husseren plonge dans sa cave, escalade les fûts et les barriques pour nous proposer à la dégustation le fruit de ses recherches et expérimentations.
Impossible d’entrer dans le détail de ce qui est goûté. Pinot Gris macéré 20 jours et élevé en barrique, le même cépage dans le même millésime avec une vinification plus conventionnelle, s’il est possible d’appliquer ce terme à propos de ce vigneron.
Bruno s’amuse à vinifier ses vins avec une propension certaine pour le non-oenologiquement correct. Bien entendu, il ne se formalise plus de ses nombreuses démêlées avec les commissions d’agrément.
Il suit son intuition, teste, expérimente et construit des vins rares, généreux, intenses et surprenants qu’il faut savoir aborder sans préjugé et avec une grande ouverture d’esprit.
Les vignerons présents ce soir là reconnaissent volontiers que ce style si différent des standards actuels présente un intérêt certain. Au delà des expressions extrêmes marquées par la réduction, parfois soutenue, et l’oxydation parfaitement ménagée, il se dégage une alternative qui a le mérite d’ouvrir des horizons nouveaux.
Puis il y a La Bouteille :
Plus que centenaire, sans aucun doute. En raison des conditions dans lesquelles elle a été découverte, Bruno estime son origine à la fin du 19ème siècle, aux alentours des années 1880.
A cette époque, seuls les grands vins étaient mis en bouteille. Les vignerons possédaient 5 tonneaux de contenance décroissante. Le plus grand accueillait le vin de l’année, puis à chaque récolte le solde était transféré dans le tonneau plus petit. Si, à l’issue des 5 ans, le vin était encore buvable, il était mis en bouteille. Avec une telle méthode, seuls les grands millésimes subsistaient.
Très certainement issu d’un assemblage de cépages plantés sur l’Eichberg, le vin a conservé une superbe acidité qui structure la bouche et apporte une importante fraîcheur. Aucune trace d’usure, des arômes de rancio avec une précision étonnante.
Puis nous nous replions à la Table d’Hôtes de Madame Schueller, à quelques centaines de mètres de là. C’est un véritable plaisir de nous retrouver dans une atmosphère chaleureuse, autour d’un feu de bois et d’une queue de bœuf au Pinot Noir. Gérard Schueller, le père de Bruno, nous a rejoint. Il est encore très présent dans les vignes, sa compagnie est un vrai plaisir, son expérience impressionnante.
Bruno a ramené de la cave un magnum de Crémant « raté ». Pur Riesling : avec une prise de mousse insuffisante, le vin n’arrive pas à éjecter son dépôt lors du dégorgement. Pas grave, c’est délicieux avec une bulle très fine, bien entendu pas de dosage. Crémeux et gras à souhait, pas mal pour un « raté ».
Avant d’attaquer le plat de résistance, nous nous ouvrons l’appétit avec quelques bouteilles amenées par les uns et les autres.
Tout d’abord un blanc de Léon BARRAL VDT 2003, suivi du Domaine De L'Aube Des Temps VDP d'Oc blanc 90, puis avec la queue de bœuf, quelques rouges : Bernard BAUDRY Chinon Le Clos Guillot 03, Jean-Claude LAPALU Brouilly 04, Domaine Des Vignes Du Maynes Macon Cruzilles La Manganite 02, Alphonse MELLOT Sancerre rouge Génération XIX 97.
Un débat animé autour d’un Pinot Noir de Nouvelle-Zélande puis pour suivre, Château La Linquière Saint-Chinian Le Chant des Cigales 03, puis Thierry ALLEMAND Cornas 91.
Et pour terminer : un Vin de voile 1998 du Domaine Julien Meyer.
Il faut malgré tout se résoudre à rentrer vers Strasbourg. La neige tombe dru. L’heure est bien avancée. Une soirée inoubliable.
Domaine Gérard SCHUELLER
1 rue des 3 Châteaux
68420 Husseren Les Châteaux
03 89 49 31 54