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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 05:03
Strasbourg, le 03 novembre 2008


Millésime 2008 : 3 avis d'experts





Même si à ce jour tous les raisins ne sont pas encore rentrés, surtout dans la région de la Couronne d'Or, j'ai demandé à trois experts du vignoble, Eric MEISTERMANN, Arnaud IMMELE et David LEFEBVRE, de nous livrer en quelques lignes leur première analyse de ce nouveau millésime.


Eric MEISTERMANN est Directeur Régional d'ITV France Alsace, Centre Technique Interprofessionnel de la Vigne et du Vin, l'organisme chargé d’améliorer l’efficacité économique de la filière. En dehors de ses compétences techniques, c'est un fin dégustateur.



"Le millésime 2008, comme celui de 2007, est marqué par une maturation lente des raisins dans une atmosphère fraîche ce qui est favorable à la synthèse des arômes variétaux. Il suffisait de déguster les raisins pour s'en rendre compte. La fraîcheur a permis de ralentir le développement de la pourriture et de conserver de l'acidité, gage d'un bon vieillissement. Un grand millésime pour les vins de coteaux et pour ceux qui ont pris leur temps pour récolter."


Eric MEISTERMANN


Arnaud IMMELE a créé la société Œnologie Immele SA en 1988 après 10 années d'expérience du conseil œnologique en Alsace. Aujourd'hui à la tête de  trois laboratoires, c'est un expert incontestable du vignoble alsacien.


"Ce millésime un peu plus tardif que les précédents, nous a apporté des conditions de maturité  plus fraîches, ce qui se traduit par une meilleure préservation des arômes primaires de cépage. On retourne vers les fondamentaux de la typicité des vins d'Alsace qui a besoin d'une maturation lente et fraîche.


Ces conditions de maturité nous laissent aussi des niveaux d'acidité que le réchauffement climatique nous a fait oublier. Les acidités sont fortes, les plus élevées depuis le millésime 1996. Mais la composante acide est bien équilibrée avec une bonne proportion d'acide tartrique.


La charge de la vigne, régulée par une floraison un  peu laborieuse,  n'a pas été excessive, notamment pour les cépages Gewurztraminer et Riesling. Tout cela nous amène vers des vins aux arômes typés, très fins en particulier pour les pinot gris. Ces Pinot gris seront les réussites de ce millésime avec beaucoup d'élégance de fruité et une acidité gastronomique. Ils auront une excellente longévité.


J'ai aussi été séduit par l'intensité et la richesse aromatique des Gewurztraminer dont la réussite sera toutefois inégale : ils ont tendance à fermenter trop vite et les vinificateurs qui n'arriveront pas à les freiner dans la première moitié de la fermentations perdront une partie des arômes.


Nous aurons aussi des Riesling très racés et fruités . Ces vins nécessiteront un intense travail d'élevage, avec brassage fréquent des lies et microoxygénation pour apporter le plus de « gras » et de « volume » et arriver ainsi à contrebalancer l'acidité. Malgré tout, l'acidité restera excessive sur beaucoup de vins et nécessitera une correction.


Nos consommateurs actuels, stressés, carencés en calcium et magnésium, ne supportent plus les breuvages au pH trop agressif. Les vins d'Alsace tels que les appréciaient nos grands parents ne seraient pas vendables aujourd'hui :  ceux qui se souviennent d'un 1965 ou plus récemment d'un 1972 préféreront sans doute les millésimes  du réchauffement climatiques à partir du 1983.


En résume, un beau millésime, frais et fruité, avec beaucoup de finesse et une excellente longévité."


Arnaud IMMELE




David LEFEBVRE est journaliste à l'Est Agricole et Viticole. Oenologue de formation, c'est un observateur attentif du vignoble alsacien qu'il connait parfaitement.


A la vigne : des transitions phénologiques longues.


"Au niveau du climat, ce millésime n'a pas souffert de manque de pluies, pas de stress hydrique qui aurait ralenti l'alimentation minérale comme en 2003. Côté températures, le cumul en mai est l'un des plus élevé. Ce mois de mai 2008 s'est singularisé par l'élévation des températures nocturnes - et pas les diurnes - dont la somme a battu tous les records.


En mai, la vigne constitue ses tissus, c'est la phase d'élongation qui précède la différenciation. En juin et juillet, en revanche, les températures ont pu ici où là ralentir la différenciation, ce qui s'est traduit aussi par des coulures sur le muscat. Phase d'élongation favorisée et phase de différenciation perturbée et particulièrement longue ont conduit à des grappes relativement lâches, de nombreux millerands, ce qui permet encore maintenant fin octobre à de nombreuses vignes de bien résister au botrytis.


Comme la floraison, l'aoûtement et la véraison sont étalés de fin août à début septembre. Les pluies et les fraîcheurs du mois d'août favorisent l'accumulation du tartrique.


Aux vendanges, les vignes précoces se retrouvent « idéalement » réceptives au botrytis durant la première quinzaine de septembre. Cette réceptivité couplée à une météo favorable au champignon entraîne bien des soucis dans la Harth par exemple. Pour les vignes moins précoces, les Rieslings, la pleine réceptivité des raisins au botrytis arrive durant la seconde quinzaine de septembre, mais la météo est alors peu propice au champignon. Conséquence, le vignoble rentre des vendanges saines."


Au chai : De grâce conservez votre acidité !


"La minéralité est au rendez-vous même pour les vignes de sols compactés et morts. Preuve en est que les composantes gustatives - alcool, sucres, astringence - sont harmonieuses. Le pinot gris en particulier est probablement l'un des plus beaux que l'Alsace a connu depuis bien longtemps. L'acidité s'exprime parfois sévèrement. Le millésime présente la plus belle acidité de cette décennie. 


Mais déjà des vinificateurs songent à désacidifier les vins soit par la méthode dicalcic-double sels, soit par voie biologique, soit tout simplement au bicarbonate, prétextant que les vins ne seront pas marchands. Rappelons qu'en 1996, les rieslings non désacidifiés sont ensuite devenus de véritables chef-d'œuvres. Exemple le riesling Brand 1996 Zind-Humbrecht, seul trophée d'excellence en 2002 au concours Riesling du Monde.


Prions donc pour que le vignoble ne " saccage " pas son millésime au motif qu'il faut le vendre rapidement. ... Mais bon, il y a aussi la trésorerie à maintenir à flots surtout depuis que les banquiers ne prêtent plus. Mais il est clair que ceux qui ont su capitaliser avec le vent du nord à partir du 15 septembre et qui sauront capitaliser en laissant vieillir les rieslings et pinots gris, font un excellent placement, pour peu que le consommateur sache identifier les bons vins.


Pour arrondir les acides, soulignons une méthode douce qui est le bâtonnage des lies. D'une part, le gras des hétérosides compense gustativement l'acidité. D'autre part, il favoriserait mécanismes d'estérification selon la formule acide + alcool donne ester + eau. Exemple Acide coumarique + fonction alcool de l'acide tartrique donne acide coumaryltartrique + eau : ça diminue les acides phénols relativement agressifs en bouche, et ça rend moins labile les protons de l'acide, donc l'effet acide est diminué. C'est ce qui est observé empiriquement avec le bâtonnage des lies."


David LEFEBVRE




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commentaires

J
L'Alsace s'en tire donc plutôt bien (par rapport aux grêles essuyées dans l'Héraut, entre autres), et je m'en réjouis d'avance !<br /> Fraîcheur, fruit, finesse, longévité... de quoi se régaler pour les années à venir. Il sera d'ailleurs sans doute intéressant "d'oublier" quelques bouteilles au fond de la cave (je garde en mémoire un gewurtztraminer de 14 ans, qui était fabuleux !).
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