"Le cépage est secondaire, ce n'est pas lui qui est le vecteur de notre identité. La dimension de l'Alsace passe par ses terroirs, les cépages doivent s'effacer."
Je me souviens de ces mots prononcés il y a un an et demi par Jean-Michel DEISS alors qu'il nous faisait goûter sa cave et mesure aujourd'hui la justesse de son analyse et l'urgence de la mettre en œuvre.
Aujourd'hui à Andlau, Jean-Michel, invité en sa qualité de Président des Grands Crus d'Alsace par Rémy GRESSER, Philippe MAURER et Antoine KREYDENWEISS responsables respectifs des gestions du Kastelberg, Moenchberg et Wiebelsberg, est venu s'adresser à l'ensemble des producteurs de ces terroirs, réunis à l'occasion d'un contrôle interne des échantillons du millésime 2007, pour expliquer la situation actuelle de l'AOC Alsace Grand Cru.
Devant l'urgence de la situation, il n'y va pas par quatre chemins. "Nous avons récupéré un vignoble dévasté par la guerre, et pourvu d'un encépagement de bas de gamme. En 40 ans nous l'avons transformé en un modèle qualitatif et économique viable avec pour référence le cépage. L'Europe nous impose une nouvelle révolution qui est de prendre maintenant pour référentiel le terroir, sous peine de nous retrouver noyés dans une nouvelle classification qui risque de nous faire perdre notre identité."
La vidange de l'actuel système français de classification des vins (AOC, Vin de Table, Vin de Pays) et son passage dans un système segmenté en AOP (vin d'appellation d'origine protégée), IG (vin avec indication géographique) et Vin sans IG (vin sans indication géographique) annonce en Alsace un véritable raz de marée à venir le 9 août 2009.
Comme le précise David LEFEBVRE dans un récent article de L'Est Agricole et Viticole, "Derrière ces changements de sémantique se profile la libéralisation voulue par la commission européenne. A partir d'août 2009, elle donnerait à chacun la liberté de planter n'importe quel cépage, n'importe où et en plus, permettrait aux vins de qualité inférieure de revendiquer le millésime et le cépage sur l'étiquette."
La mise en application de cette réforme aurait pour conséquence, si rien n'était fait avant la date butoir, d'exclure l'ensemble du vignoble alsacien de l'AOP et de le retrouver dans une classification de vin avec indication géographique soumis à la concurrence des industriels du vins qui pourraient planter hors de l'actuelle AOC et produire à bas coût des vins revendiquant cépage, millésime et bassin de production.
Pour faire face à cette situation, Jean-Michel DEISS propose aux vignerons d'entamer la révolution qu'il a lui-même réalisée dans son Domaine et de ne plus s'appuyer sur la notion de cépage mais sur celle de terroir. Par la mobilisation de tous les responsables des gestions locales des Grands Crus et de leurs adhérents, il entend défendre le positionnement des actuels Grands Crus en AOP et envisage par la suite une hiérarchisation des terroirs qualitatifs non classés Grand cru en Premiers Crus et Villages.
Pour cela, il s'est entouré d'un groupe de travail dont l'objectif a été d'établir un cahier des charges ambitieux qui répondrait aux exigences européennes en matière d'AOP et sur lequel les gestions locales des Grands Crus puissent s'appuyer pour qualifier les particularités de leurs terroirs et expliquer le lien entre leurs vins et de leurs terroirs.
Ce document de réflexion a pour vocation de synthétiser en 10 grands principes les ambitions consensuelles de l'Appellation Alsace Grand Cru. Charge aux acteurs de l'appellation de se l'approprier, de le spécialiser et de la mettre en œuvre. Chaque gestion locale se voit la possibilité de faire des propositions sur les différents leviers que sont les cépages, la densité de plantation, les méthodes culturales, etc.
Sans entrer dans le détail des 10 principes, on peut noter l'importance qui est accordée au respect du terroir qui doit avant tout être servi par le vigneron.
Ceci conduit à refuser les aménagements qui modifient la structure des sols et à rechercher un enracinement profond qui contraigne la plante à un rapport intime et stabilisé avec son milieu.
Un plan d'encépagement spécifique à chaque terroir doit être déterminé en fonction de la capacité de chaque cépage à révéler le terroir : "Le cépage doit s'effacer devant l'identité du terroir pour n'être qu'un vecteur de son expression". Ce plan précisera si ces cépages seront plantés seuls ou en mélange, si les acteurs locaux jugent que cette option restitue mieux le terroir.
Le respect de l'environnement s'impose comme règle de base. Les conditions d'utilisation de produits phytosanitaires doivent être soumis à des conditions strictes.
Les règles de vinification doivent éviter de modifier les caractères distinctifs du raisin, les intrants limités aux seules impasses de vinification.
Au travers de ces exigences, les rédacteurs ont voulu réaffirmer leur respect pour le terroir, le consommateur mais aussi pour le métier de vigneron qui tout en s'identifiant à sa famille conserve sa propre interprétation, sa sensibilité et sa personnalité.
D'autre part, afin de se protéger de la dérive évoquée précédemment, consécutive à la plantation de cépage en IG, l'AVA demande l'exclusion du Riesling, du Sylvaner et du Gewurztraminer de la liste des cépages autorisés en vins sans IG ou avec IGP.
Même s'il fait preuve d'optimisme, Jean-Michel DEISS sait que la situation est délicate et que l'Alsace ne pèse pas lourd dans le marché viticole français. Cependant on peut être certain qu'il fera preuve de la même combativité pour défendre la filière et ses collègues vignerons que celle dont il usa il y a quelques années pour défendre sa vision de la viticulture.
A l'issue de son exposé et des nombreuses questions qui en ont découlées, plus de 40 échantillons de vins issus du millésime 2007 des 3 Grands Crus d'Andlau furent dégustés par les vignerons locaux, sous la direction de vignerons externes à la commune formés en qualité d'experts.
Chaque vin s'est vu évalué sur ses qualités techniques et la présence éventuelle de défauts, sur la qualité de sa matière et sur sa typicité en relation avec le terroir. Chacun de ces 3 points est noté sur une échelle en 4 niveaux qui constitue une première étape dans le nouveau processus d'agrément.
Les 7 Kastelberg présentés, dont une VT et une SGN, ont tous fait preuve d'une typicité remarquable. En dehors de sa géologie unique, ce terroir est encépagé uniquement de Riesling, aussi est-il relativement simple d'établir et de décrire le profil aromatique et la structure des vins qui en sont issus.
Je souhaite qu'il en soit de même pour les autres terroirs Grands Crus.