Issu de la contestation consécutive à la mise en application de la loi BOROCCO, un mouvement va se structurer autour des porte-paroles dont la voix s’était fait entendre au cours de l’année 1972. La situation économique délicate causée par le premier choc pétrolier ajoutée à une récolte pléthorique en 1973 va concourir à créer un contexte favorable à la controverse et à l’émergence d’un syndicat opposant à l’AVA.
En 1973, plus d’un million d’hectolitres de vins, alors que le vignoble compte à l’époque moins de 10.500 hectares, remplissent à ras bord les cuves des vignerons, des négoces et des coopératives du vignoble. Le contexte économique est peu favorable à la vente de vins d’AOC et toutes les régions viticoles françaises souffrent de la récession des ventes et de l’augmentation du coût de la vie. Les vignerons récoltants qui vendent leurs vins en vrac, et tout particulièrement ceux qui avaient pour habitude de les commercialiser auprès de négociants situés hors de la région ne trouvent pas preneur. Le vignoble est sous tension, Eugène FALLER décide alors de structurer le mouvement revendicatif dont il est à l’origine et de créer un syndicat. Ainsi naîtra en 1974 l’Association de Défense des Intérêts des Viticulteurs d’Alsace (ADIVA). C’est à Raymond GEIGER, fils d’Achille GEIGER, que l’on doit d’avoir trouvé le nom d’ADIVA au volant de sa voiture en passant près de Krautergersheim. Ces cinq lettres allaient pendant près de 10 ans résonner dans les oreilles des dirigeants de la viticulture alsacienne.
La première réunion de l’ADIVA a lieu à Sélestat le 19 juillet 1974. Marcel BLANCK, Président de l’AVA, entouré de son équipe a décidé de se rendre au Foyer Catholique où se tient la réunion afin de dialoguer avec ses nombreux opposants réunis. S’en suit une cohue invraisemblable où il est difficile de faire la part des choses. Les membres de l’ADIVA reprochant à ceux de l’AVA de les empêcher d’assister à la réunion en leur interdisant par la force l’entrée de la salle alors que les syndicalistes de l’AVA prétendent que ce sont ceux de l’ADIVA qui ne les laissent pas entrer. Ce qui est certain c’est que les deux parties ont amené avec elles leurs membres les plus représentatifs physiquement pour impressionner l’adversaire. Une fois tout le monde entré dans la salle la tension semble s’apaiser jusqu’à ce que Marcel BLANCK qui souhaite s’adresser à ses opposants ne soit bousculé en bas de la tribune. Les membres de l’AVA quittent alors la réunion non sans avoir échangé quelques coups et évité des jets d’objets divers. Le dialogue entre les deux organisations syndicales semblait irrémédiablement promis aux pires difficultés.
Début septembre 1974 a lieu dans la même salle de Sélestat, la première assemblée générale de l’ADIVA. Son président Eugène FALLER est entouré d’Achille GEIGER le secrétaire général et de Gérard MEYER le trésorier. Six cent personnes ont pris place dans la salle ou règne une ambiance bien plus calme que lors de la précédente réunion. Monsieur FALLER annonce que son association a recueilli jusqu’ici mille cinq cent adhésions et qu’il compte rapidement en obtenir cinq cent de plus afin d’avoir plus de poids vis-à-vis de l’AVA. Il invite ensuite les viticulteurs présents à mieux se structurer en désignant un responsable par village avant de reprendre et développer les différents points forts de son programme :
- Suppression immédiate de la mise d’origine
- Refus de l’arbitraire de la réglementation des dates des vendanges
- Opposition à la limitation des rendements
M. FALLER engage, entre autre, les membres de son association, à ne plus payer leur cotisation à l’AVA et exige du négoce alsacien qu’il paye les vins à un prix juste sans vouloir tirer profit de l’absence de la concurrence qui vient d’être écartée par la loi BOROCCO.
Mais la crise est profonde, aussi à l’aube des vendanges 1974, alors qu’on ne sait encore où et comment l’on va stocker la future récolte, c’est Xavier MULLER, maire de Marlenheim, président de la fédération des vendeurs de raisins, membre du bureau de l’AVA et membre du CIVA qui est mandaté pour jouer le rôle de monsieur bons offices et tenter de dénouer la situation. M. MULLER est partisan de la mise d’origine qu’il considère comme payante à long terme, aussi son action va consister à obtenir de la part des caisses régionales du Crédit Agricole des liquidités qui permettront aux négociants d’acheter environ 50.000 hectolitres et de les stocker. D’autres démarches sont entreprises auprès du ministère des Finances, elles visent à étendre au profit de l’Alsace une loi déjà appliquée dans d’autres régions vinicoles françaises qui autorise les viticulteurs manipulants à acheter du vin en vrac chez leurs collègues jusqu’à concurrence de 5% du volume de leur propre récolte. Au total 80.000 hectolitres de vins en vrac pourraient être ainsi achetés afin de débloquer la situation.
Ces propositions suscitent le scepticisme chez les dirigeants de l’ADIVA qui s’élèvent contre le négoce local à qui ils reprochent de jouer le blocage des achats pour obtenir des prix plus bas des vignerons lassés d’attendre et obligés de faire de la place dans la cave pour accueillir la future récolte.
La situation se débloquera finalement avec la mise en place de moyens de stockage mais l’opposition AVA – ADIVA restera persistante tant les deux visions la viticulture alsacienne sont éloignées. Comment Marcel BLANCK après avoir créé un groupe de réflexion au tout début des années 60 puis mis en œuvre une politique courageuse de réformes pour faire de l’Alsace une région viticole de haut niveau pouvait-il s’entendre avec un Eugène FALLER, de trente ans son ainé, animé par un fort conservatisme.