Pinot Noir Oberehund Je reprends avec son autorisation l'article de David LEFEBVRE, publié ce jour dans "l'Est Agricole et Viticole", qui apporte un éclairage intéressant sur le millésime 2009 en Alsace.
"A douze degrés d’alcool potentiel, les vignes sont encore bien vertes observent de nombreux vignerons d’Alsace. Ils s’inquiètent des déséquilibres gustatifs provoqués par le changement climatique entre les dimensions minérales et organiques du vin.
Comme les années précédentes, de nombreux vignerons estiment devoir attendre plusieurs semaines encore avant d’arriver à la maturité physiologique, c’est-à-dire une maturité où l’on récolte des grappes mûres, complètement colorées, dont les baies se détachent facilement du pédicelle, dont les pépins sont bien lignifiés.
Le problème est que de telles maturités abouties et complètes sont chronologiquement de plus en plus en décalage avec la maturité technologique qui se fonde sur la teneur en sucre et en acide. Pour les gewurztraminers, comme pour les pinots gris, il faut souvent attendre, selon les terroirs et les viticultures, 14° ou plus pour avoir des grappes complètement vérées. Le millésime 2009 n’échappe pas à la règle. De nombreux viticulteurs aimeraient voir leur vigne de parer des belles couleurs automnales quand le pinot ou le gewurztraminer titrent déjà 12° or, elle reste bien trop verte.
La vigne, comme la betterave sucrière ou le maïs, produit de plus en plus de sucres, une comparaison physiologique qui n’est pas du goût des amateurs et producteurs de vin de gastronomie, mais qui est une réalité physiologique, et une conséquence du réchauffement climatique et plus précisément de l’augmentation exponentielle de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère. Ce carbone, dont les excès proviennent à l’origine des gisements carbonifères, est séquestré par la plante, grâce à la photosynthèse, sous forme de sucre, de cellulose, etc.
Lorsque la maturité physiologique dans les années 70-80 était obtenue vers 11° ou 12° d’alcool potentiel, elle l’est désormais plutôt vers 13,5° ou 14°.
La maturité technologique qui tient compte de l’alcool potentiel et de l’acidité renseigne pour sa part sur la quantité des principaux composés carbonés (organiques), acides et sucres, accumulés dans la baie. Au final, on retrouve ces composés carbonés dans le vin et ils forment l’extrait sec.
Pour les vins dont la qualité est construite sur l’extrait sec, ce qu’on nomme aussi la concentration, cette évolution physiologique de la vigne est une aubaine. Plus sucrés, plus riches en alcool, peut-être même plus aromatiques, les vins d’Alsace sont de mieux en mieux perçus sur ces critères de qualité. Et même parfois, ils tournent à l’excès en voyant les débats qui agitent le vignoble sur la sucrosité par exemple. Le vinificateur doit souvent choisir entre des excès d’alcool ou de sucre s’il veut des vins de raisins physiologiquement murs.
Sucres, arômes, couleur, tanins, polyphénols constituent ce que les dégustateurs professionnels appellent aussi la dimension horizontale, le corps du vin. Quant à sa dimension verticale, elle reste une notion assez floue. On constate simplement, à rendement équivalent, qu’un bourgogne à mi-côte, sur des parcelles caillouteuses, a plus de verticalité qu’un vin de la plaine, sur sol profond et riche. Cette verticalité, ce squelette, cette persistance finale, ce que certains nomment la minéralité n’a malheureusement pas encore de réalité analytique. Pourtant, deux bourgognes de composition identique en composés organiques, acides, polyphénols, alcool, mais l’un provenant de la côte et l’autre de la plaine, seront goûtés différemment.
Quelques études sur les constituants minéraux ont tenté de lever cette énigme gustative de la verticalité, en vain. Les ouvrages œnologiques de référence sont extraordinairement discrets sur le sujet. Une analyse du rapport (cendres – [potassium])/Extrait sec pourrait peut-être renseigner sur cette fameuse minéralité car les sels minéraux contenus dans les cendres confèrent la sapidité, dimension gustative en opposition avec l’insipidité. Le potassium devant être écarté car sa teneur est variable avec le pressurage. Elle est donc plus fonction de paramètres œnologiques que viticoles.
Avec l’augmentation de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère, les raisins s’enrichissent en composés carbonés. Une expérience menée à Geisenheim avec des rieslings placés sous cloche d’atmosphère contrôlé en CO2 l’a démontré. Parallèlement, les teneurs en éléments minéraux - qui ne peuvent provenir que des sols - n’ont pas forcément évolué durant ces dernières années. Cependant, des vignerons comme Patrick Meyer s’inquiètent du changement de fonctionnement des sols sous l’effet du réchauffement. Une des conséquences analytiques du changement climatique serait d’observer l’évolution de ce rapport (cendres – [K+])/Extrait sec.
Conséquence gustative du réchauffement : les vins ont peut-être gagné en concentration, mais pas forcément en légèreté. On parle alors de vin “bodybuidés” et manquant de squelette (minéraux) pour arriver à un équilibre. Alors des vignerons comme René Muré diminuent leur surface foliaire afin que la vigne “capte” moins de carbone.
La concentration a longtemps été le principal paramètre de notation des vins, notation de type Parker, avec bien sûr, en plus des appréciations sur la précision des arômes, le soyeux des tanins, la douceur des acides, etc. Signalons que ce type de dégustation ne s’attache à noter, à ne qualifier que la dimension organique du vin. Pour ce qui est de sa dimension minérale, les appréciations se résument au mot “minéralité”.
Les sels expriment pourtant de grandes différences. Seulement, notre palais n’est éduqué qu’au chlorure de sodium, comme il l’est d’ailleurs au sucre. Pourtant, tous les goûts salés sont dans la nature. Par exemple entre un sel métallique, un sel de sodium, de magnésium, de potassium ou de calcium et de bien d’autres éléments de la classification, présents en quantité infinitésimale mais pas anodine, les salinités sont très différentes, les unes sont douces, les autres agressives, asséchantes. Les cendres représentent dans le vin de 1,5 à 4 g/l, une quantité de sel qui donne forcément plus ou moins du goût et qui ne peut être ignorée."
David Lefebvre