Une délégation est enfin reçue par le Préfet ESCANDE, qui transmettra les revendications à sa hiérarchie. La manifestation se dispersera ensuite dans le calme.
Bien que l’unité puisse sembler parfaite derrière la direction de l’AVA, de nombreuses voix s’élèvent dans le vignoble afin de dénoncer ce projet de mise en bouteille dans la région d’origine jugé tout simplement inique. A leur tête on trouve Eugène FALLER et Achille GEIGER, tous les deux vignerons en affaires avec les tant décriés négociants du quai de Bercy. Par des tracts ils font part de leur indignation :
«Viticulteurs d’Alsace, si vous tenez à accorder au négoce le monopole des prix, si vous voulez dépendre de leur bon vouloir, si vous voulez vous contenter d’un salaire de misère, bref si vous tenez à vous mettre vous-même la corde au cou alors il vous suffit d’aller manifester pour la mise d’origine : le négoce vous aura bientôt dans son sac. Si par contre vous avez su réfléchir aux conséquences désastreuses que la mise d’origine amènera nécessairement, dites non à la collaboration BLANCK-NEGOCE. Ne participez pas à une manifestation qui va directement à l’encontre de vos intérêts»
En réalité les avis sont partagés, surtout pour les nombreux producteurs qui vendent aux négociants basés hors de l’Alsace et qui risquent fort de perdre leurs clients si ceux-ci ne peuvent plus acheter de vins en vrac. Leurs craintes de se retrouver piégés par le négoce local qui profiterait de cette situation pour tirer les prix vers le bas est légitime. Ils reprochent également aux dirigeants de l’AVA de profiter de la mobilisation de leurs troupes contre l’augmentation de la pression fiscale pour soutenir le projet de mise en bouteille dans la région d’origine qui ne ferait pas l’unanimité dans la profession. Enfin l’argument selon lequel la qualité et la notoriété des vins d’Alsace serait mieux défendue par les négociants locaux leurs semble inacceptable.
Quelques semaines plus tard lors de la 50ème Foire aux Vins d’Ammerschwihr, Joseph HEITZMANN qui préside l’évènement rappelle les difficultés très graves que connaissent les viticulteurs et souligne une nouvelle fois la nécessité d’imposer la mise en bouteille dans la région d’origine, seule capable de procurer des garanties de qualité aux consommateurs. Le député BOROCCO présent ce jour là confirme qu’un texte sortira incessamment et assure la profession de son soutien le plus total. Marcel BLANCK prend ensuite la parole et remercie les viticulteurs présents à la manifestation pour la discipline et la détermination dont ils ont fait preuve. Il rappelle en dirigeant d’une grande organisation professionnelle l’enjeu important que représente cette mesure en plaçant l’intérêt général de la viticulture bien au dessus des considérations étroites qui lui sont reprochées.
Le 5 juillet 1972, soit moins de 3 mois après la démonstration de force des vignerons alsaciens, la loi dite BOROCCO du nom de celui qui l’a portée, relative à la commercialisation des vins à appellation d’origine contrôlée Vins d’Alsace ou Alsace est adoptée. Avec effet immédiat elle rend obligatoire la vente des vins d’Alsace uniquement en bouteilles conformément à la réglementation en vigueur, à l’exception des transferts de chaix à chaix dans les deux départements alsaciens. D’autre part, elle impose la mise en bouteille des vins d’Alsace uniquement dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
La manifestation des vignerons alsaciens n’aura pas été vaine. La seconde conséquence plus inatendue de ce mouvement, sera le renforcement des grilles de la Préfecture de Colmar, comme le soulignera avec malice au cours d’une assemblée générale de l’AVA, le Député BOROCCO.
Pour Marcel BLANCK c’est une victoire importante qui conforte les efforts du vignoble alsacien dans sa volonté de produire des vins de qualité mais aussi une garantie pour l’image des vins d’Alsace. Cependant, la prise d’effet sans délais de ce texte va plonger les nombreux vignerons qui vendaient leurs vins aux négociants de « l’intérieur » dans une situation délicate qui va exacerber les tensions apparues autour de la manifestation du 20 avril. Ces fortes dissensions vont conduire à la création d’un syndicat de vignerons opposants à l’AVA : l’ADIVA.